Learning Fiction : la seconde accélération

par Thierry BONETTO

Le MAG RH de Mai 2021, paru sous la direction de Michel Barabel, François Gueuze et André Perret, avait pour thème de « dessiner la formation post covid ».

Voici une « Learning Fiction » publiée à l’occasion de cette édition, décrivant comment plusieurs entreprises ont non seulement accéléré leurs pouvoir d’adaptation à l’occasion de la pandémie, mais capitalisé sur cette expérience pour enclencher une seconde accélération, et accroître leur capacité à apprendre à la vitesse du changement.
Panorama de pratiques observées dès 2023 au sein d’entreprises qui expérimentent ce « nouveau monde du learning et de l’organisation apprenante » …

 

Le premier confinement de mars 2020 a été, pour les fonctions Learning & Développement (L&D), l’occasion d’une accélération inédite afin de s’adapter à une triple contrainte : 1/ digitaliser la formation, 2/répondre en un temps record à de nouveaux besoins business – comme le développement des approches commerciales à distance – et 3/ multiplier les opportunités d’apprentissage à budgets restreints.

Que restera-t-il de cette accélération trois ans plus tard ? Et si certaines entreprises choisissaient de lancer une seconde accélération, pour esquisser un « nouveau monde du learning » capable d’aider à la survie et l’adaptation en continu : en alliant ancrage business, intégration de l’apprentissage dans les modes de fonctionnement, culture learning, et nouveau paradigme pour les équipes L&D.

Embarquons dans l’une de ces entreprises et observons en 2023 les contours de ce nouveau monde …

 

Apprendre : un avantage concurrentiel ancré dans le business

La pandémie a challengé le modèle mental de nombreuses directions opérationnelles, pour passer d’une vision de la formation « contraignante et axée sur le règlementaire », à « catalyste de nouvelles pratiques opérationnelles ». Dès lors, la direction générale a décidé d’ancrer de façon pérenne le développement des compétences dans la stratégie business, et notamment délégué des opérationnels comme sponsors auprès des équipes L&D.

Et le comité exécutif consacre 2h par an à échanger sur les priorités de formation au service de la transformation de l’entreprise.

Ces priorités sont généralement de deux ordres :

- Des initiatives de « upskilling / reskilling », pour anticiper sur les « compétences du futur » ; et en particulier accompagner la transformation digitale, elle aussi en accélération, tout en limitant le risque de fracture numérique ;
- Le développement en continu de compétences socio-émotionnelles, et de l’agilité d’apprentissage : pour permettre aux personnes et aux organisations de s’adapter en continu.

 

La pandémie a en effet montré combien les capacités d’adaptation étaient une question de survie pour l’entreprise : à l’instar du « From know it alls to learn it alls » (« de tous sachants à tous apprenants ») lancé chez Microsoft par le CEO Satya Nadella, plusieurs directions opérationnelles ont intégré des dynamiques d’apprentissage au sein même des équipes.

Elles ont notamment instauré des moments mensuels d’apprentissage pour tous, pilotés par les managers intermédiaires en fonction de leurs contextes. Et ont fixé un objectif de 50 heures de développement par an et par personne : objectif suffisamment ambitieux pour qu’il ne puisse pas être atteint de manière « traditionnelle », et incite tous les acteurs à utiliser différentes modalités mises à disposition par l’équipe L&D : modules digitaux sur mobile, classes virtuelles, séminaires, communautés, apprentissage en situation de travail, etc.

Pour soutenir ces démarches, les responsables learning consacrent déjà 15 % de leur temps comme « Facilitateurs d’Apprentissage » - sur le modèle des coachs agiles : ils aident les opérationnels à activer les modalités d’apprentissage appropriées, les orientent vers les ressources pertinentes, et coachent les managers d’équipe sur leur rôle.

 

Du « manager coach » au « manager développeur du capital compétences »

Car les managers ont aussi connu une accélération dans l’évolution de leur posture, pour :
- Renforçer l’autonomie des équipes, ayant constaté que cette autonomie était source de performance plus souvent que le contrôle ;
- Equilibrer cette autonomie par une communication fréquente, des moments d’échanges, de réflexion, et de socialisation ;
- Développer leur empathie : en combinant « check up » sur les résultats, et « check in » sur la situation personnelle des collaborateurs.

 

Avec l’aide des équipes L&D - dans leur nouveau rôle de Facilitateurs d’Apprentissage – les managers déploient progressivement des rituels d’apprentissage en équipe :
- Travail sur la vision partagée et construction d’un plan de développement d’équipe, individuel et collectif, pour la réaliser ;
- Partage des talents « cachés » des uns et des autres, afin de les valoriser et permettre la contribution du potentiel de chacun à l’atteinte des objectifs ;
- Mise en œuvre d’expérimentations pour mieux agir dans l’incertitude, en laissant la place au droit à l’échec, et en organisant régulièrement des retours d’expérience : l’expérimentation devient ainsi une stratégie d’apprentissage tout autant qu’une pratique opérationnelle, sur les terrains à explorer.
Pour accompagner cette évolution, la DRH a incentivé dès 2022, les managers sur ce rôle de « développeur du capital compétences ». Le baromètre employé consolide déjà des indicateurs par équipe dans ce domaine, et les responsables learning ont animé en 2023 les premiers ateliers auprès des managers ayant besoin de progresser sur ce plan.

 

Culture learning : autonomie et apprentissage social

 

L’équipe L&D a aussi tiré des leçons de l’étude menée durant les premiers mois de la pandémie par Lynda Gratton (Professeur à London Business School), montrant que la majorité des télétravailleurs appréciaient une plus forte autonomie, mais regrettaient un manque d’interaction sociale. C’est pourquoi deux stratégies ont été renforcées :
- Accompagner l’autonomisation des collaborateurs dans leur travail et leur apprentissage : playlists de ressources thématiques, newsletter avec profilage en fonction du rôle et des intérêts de chacun-e. Avec un thème clé : apprendre à apprendre, afin d’activer l’envie et les façons d’apprendre ; par exemple, une app « Qu’ai-je appris cette semaine » a été diffusée pour créer un rituel de réflexivité ;
- Activer le rôle de socialisation du learning : « lunch & learn » réguliers, webinaires thématiques à distance en grand nombre, sessions de co-développement, etc.

Pour pallier les contraintes de ressources, l’équipe L&D a misé sur l’apprentissage latéral entre pairs, plus « frugal » et tout aussi impactant. Notamment :
- Lors de leur intégration – encore souvent à distance – les nouveaux embauchés se voient proposer un « mentor » pour leur orientation ; et les premières trois semaines sont consacrées à des rencontres avec des pairs et experts pour comprendre à la fois la culture et le métier. Cette approche renforce l’esprit de collaboration : « quand on a été bien accueilli par tant de collègues, difficile de refuser une demande d’aide par la suite ! » ;
- La professionnalisation dans sa fonction repose essentiellement sur l’apprentissage entre pairs : à base de vidéos produites en interne, rencontres thématiques avec des experts, et mise en application sous la supervision du manager ;
- Des sessions de type « hackaton » engagent aussi tous les ans un grand nombre de collaborateurs, pour apprendre ensemble et co-créer de nouvelles pratiques sur une thématique nouvelle.
Cette culture d’apprentissage social se retrouve depuis 2022 dans le système d’évaluation, incluant désormais un critère sur « combien j’ai aidé d’autres collègues à réussir ».

 

Un nouveau paradigme pour l’équipe learning :

 

Ces évolutions n’ont été possibles que par la transformation des rôles de l’équipe L&D.
Bien sûr, elle continue à construire des programmes de formation, désormais 50% à distance, en se focalisant sur :
- Les priorités de « reskilling / upskilling » validées par la direction générale ;
- Les compétences clés à acquérir pour chaque fonction, et les compétences socio-émotionnelles ;
- Le développement du leadership et les programmes « HiPo / talents ».

Deux nouveaux rôles sont apparus : « Facilitateur d’apprentissage », comme déjà indiqué, ainsi que « Performance consultant » : il s’agit de redéfinir les processus de travail pour y intégrer des modalités de formation en continu. Par exemple, « augmenter » un système de management de la relation client, grâce à un dispositif d’intelligence artificielle proposant des capsules d’apprentissage personnalisées, où et quand le besoin émerge.

Dans ce contexte, le « catalogue formation » a disparu dès 2022, et a été remplacé par le système « MyDev » : à base lui aussi d’intelligence artificielle, ce système vise à catalyser un « développement pour tous » : en aidant chaque collaborateur à réfléchir à ses objectifs de développement en lien avec son projet professionnel, puis à choisir les solutions learning les plus appropriées, avec les conseils de son manager et de ses pairs.

Enfin, l’équipe L&D a mis en place un nouveau tableau de bord pour mesurer l’impact du learning, basé sur 3 indicateurs clés :
- L’investissement en formation rapporté au chiffre d’affaires – comme en R&D ;
- L’évolution de la culture learning, autour de 4 dimensions : le Net Promoteur Score des programmes, les opportunités d’apprendre, le support des managers, et l’apprenance – ou envie & disposition à apprendre ;
- La contribution au développement des autres.


Learning fiction ? Tous les ingrédients mentionnés existent déjà ou ont été explorés …
Alors, qu’allez-vous faire pour profiter des leçons de la pandémie, accélérer à nouveau et contribuer à créer le « nouveau monde du learning » ?

 

Thierry Bonetto est ancien Directeur Learning du Groupe Danone, Senior Advisor du Cabinet NELTA spécialisé dans le développement des talents, et fondateur de Learning Futures, cabinet de conseil et formation spécialisé dans le développement d’organisations apprenantes.
https://www.linkedin.com/in/thierry-bonetto/

 

 

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